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La bienveillance managériale dans le monde de la santé

 


N°2, Février 2017


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La culture de la bienveillance semble être inhérente au monde de la santé mais peut-elle aussi s’appliquer à ses pratiques managériales ? Tel est le sujet de notre réflexion de ce jour dans le prolongement de notre précédent billet.

« Le milieu de la santé est tributaire de valeurs fondamentales comme la bienveillance, la compassion ainsi que le devoir que partagent les organisations de santé, celui de répondre aux besoins de soins des membres de la collectivité qui sont vulnérables, blessés ou malades ».

Telle est la conviction de Karen E. Faith présentée dans son article «Le rôle du leadership fondé sur les valeurs dans la préservation d’une culture de bienveillance » au Healthcare Management Forum du printemps 2013.

Pourtant cette culture de la bienveillance, qui se rapproche d’une certaine façon de la culture du care (très bien expliquée par Éric Delassus dans ses articles de ce blog), serait selon Karen E. Faith mise à mal. La cause serait notamment l’introduction de la logique de contrôle des coûts mise en place.

Dès lors, on peut s’interroger pour savoir si une culture de bienveillance managériale peut exister dans le monde de la santé comme c’est préconisé dans le monde des entreprises.

Avant de répondre à cette question, il convient cependant de s’entendre sur ce que l’on attend par bienveillance managériale. Pour ma part (cf. Dictionnaire des risques psychosociaux, Seuil, 2014, pp. 69-70), je considère que l’utilisation de cette notion en sciences de gestion est encore en devenir tant elle fait appel à différents champs scientifiques : philosophie, sociologie, éthique des affaires, marketing, etc.

La bienveillance semble toutefois toujours évoquer la volonté de tenir non seulement compte des intérêts de l’autre dans la prise de décision mais également considérer les actions qui sont engagées. En ce sens elle est donc compatible avec le management et le monde de la santé : elle est  définie selon une dimension éthique favorisant et valorisant la maximisation des intérêts communs et représente un type d’attention interpersonnelle, une sorte d’intérêt et d’empressement à poser un bon geste pour autrui au-delà des considérations égocentriques de nature pécuniaire que chacun peut avoir en toute situation, à plus forte raison en milieu professionnel.

Dès lors, en étant liée à ce qui est à l’origine de la motivation, la bienveillance peut être abordée de deux façons différentes : de manière altruiste ou mutuelle. La bienveillance altruiste s’appuie sur le comportement orienté vers le désir de faire du bien à autrui, sans pour autant qu’existe une quelconque motivation égocentrique.

Il est donc fait référence à des gestes d’assistance qui se posent au-delà des considérations contractuelles dans le seul but d’assurer le bien-être de l’autre partie, sans en attendre des bénéfices futurs. Un manager qui agit conformément à la bienveillance altruiste veut tout simplement aider son collègue sans que ce dernier le demande.

Comme cette bienveillance est de nature volontaire et non guidée par des motivations extrinsèques, elle constitue en elle-même la finalité de la démarche du manager qui va aider ses collaborateurs sans que ces derniers lui aient demandé quoi que ce soit : il adopte ce comportement en l’absence de toute réciprocité, ce qui est très différent d’une démarche qualifiée de bienveillance mutuelle.

La bienveillance mutuelle est par contre beaucoup plus intéressée puisqu’elle se manifeste par la volonté de s’occuper du bien-être de l’autre partie dans le but d’assurer les bénéfices conjoints. Elle procède donc de comportements d’assistance au-delà des considérations contractuelles qui viennent en retour des gains futurs pour les deux parties.

Cette bienveillance peut par conséquent être qualifiée de « calculatrice » en fonction des motivations utilitaires réciproques. Un manager ou un collaborateur qui agit selon un comportement de bienveillance mutuelle cherche donc à assurer la satisfaction de son collègue pour renforcer la fidélité de ce dernier.

Ces éléments étant posés, il est possible de répondre à l’interrogation de savoir si les managers du monde de la santé doivent être ou non bienveillants. Pour Karen E. Faith (op. cit.), la réponse semble évidemment positive puisqu’elle préconise un leadership fondé sur les valeurs pour défendre cette culture de la bienveillance. Pour Emmanuel Abord de Chatillon, Professeur de management à l’IAE de Grenoble, la réponse est radicalement différente : le manager ne doit pas être bienveillant car ce n’est pas ce qui lui est demandé.

Dans le détail, si Emmanuel Abord de Chatillon reconnait que les situations de souffrances au travail, de stress, d’épuisement professionnel mais surtout d’usure générale des acteurs de la santé fatigués d’être en incapacité de faire correctement leur travail sont nombreuses et fréquentes, il considère que les problèmes des institutions de santé ne sont pas dus à de la malveillance individuelle (même si des cas particuliers peuvent exister).

A la source de tous ces maux, il faudrait plutôt regarder du côté des «  dispositifs de prévention qui font mine de traiter de ces questions, mais visent plus à répondre aux attentes des autorités de certification qu’aux difficultés des personnels ».

Dès lors, mettre l’accent sur la notion de bienveillance managériale serait une manière que les organisations auraient de retourner le problème en leur faveur en laissant penser que ce serait la responsabilité des managers malveillants ou maltraitants qu’il conviendrait de pointer du doigt (il semble assimiler ces deux termes) et non les leurs. Emmanuel Abord de Chatillon rejette donc la notion de manager bienveillant (qu’il assimile au monde des gentils ou Bisounous) en préférant dénoncer l’incompétence managériale de ces managers :

« Donc, je veux bien croire que les managers aient des défauts, qu’ils soient mal-communicants, parfois fourbes et fuyants, mais je ne pense pas qu’ils aient forcément la disposition d’esprit de la malveillance à l’égard de leurs subordonnés. Mon sentiment réside plutôt dans l’idée qu’ils ne font pas assez bien leur travail.

Je constate qu’ils maîtrisent très mal les outils de base du management. Qu’ils pilotent mal leurs équipes, qu’ils ont du mal à animer des réunions fructueuses et qu’ils ont les plus grandes difficultés à maîtriser les techniques de l’entretien individuel. J’observe que beaucoup d’entre eux ne préparent pas bien leurs dossiers, passent plus de temps à communiquer sur leur travail qu’à le faire, oublient de reconnaître le travail de leurs collaborateurs et ne parviennent pas à structurer le travail de leurs équipes. On pourrait commencer par travailler là-dessus… […]

Je ne demande donc pas aux managers d’être bienveillants, je leur demande de faire correctement leur travail, ce serait déjà pas mal… », Emmanuel Abord de Chatillon, Article « Le manager doit-il être-bienveillant ? » du 17/12/2016 Blog http://managersantetravail.blog.lemonde.fr/

Le monde de la santé souffrirait donc avant tout d’un manque de compétences managériales et s’appuyer sur la notion de bienveillance voire de bientraitance (également présente dans l’univers des soins) ne serait pas adapté.

Pourtant d’autres chercheurs des sciences de gestion considèrent que la bienveillance a sa place dans  le management des ressources humaines (cf. Catherine Voynnet Fourboul, Laurent Cappelletti, Said Khalla, Florence Noguera et Aline Scouarnec, in “Toward a new trend of managing people through benevolence?” Management & Avenir, n° 36, 2010/6, pp. 263-283): non seulement, elle est souvent associée à l’une des dimensions du leadership éthique, mais elle renvoie aussi à la préservation et à l’amélioration du bien-être des personnes avec qui on est en contact personnel fréquent.

Elle renvoie enfin à ce qu’est un comportement digne de confiance, fiable, au même titre que la compétence et l’intégrité (cf. Mayer et Mayer, R. C, Davis J.H. Schoorman, F D. (1995), An integration model of organizational trust, The Academy Of Management Review, Briarcliff Manor: Jul. Vol. 20, Iss. 3; pg. 709, 26 pgs). On en revient alors au positionnement présenté en début d’article… D’autres développements viendront par conséquent dans un prochain billet.

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Article rédigé à partir d’une publication de son  blog managérialN’hésitez-pas à laisser vos commentaires… Stéphanie CARPENTIER  vous répondra avec plaisir !!!

Nous remercions vivement  Stéphanie CARPENTIER (Docteur (Ph.D) Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail) , pour partager son expertise professionnelle en proposant cette Rubrique mensuelle « Recherche & Management », pour nos fidèles lecteurs de managersante.com

Stéphanie CARPENTIER

Docteur Sciences de Gestion - Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail. [Blog Managérial : carpentierblogrh.wordpress.com ].  Stéphanie CARPENTIER est classée dans la liste des Top Voices des 25 contributeurs les plus influents en 2018 sur LinkedIn France, le plus grand réseau professionnel au monde.  Créatrice de la société de conseil DR.RH&CO pour les dirigeants et leurs managers. Membre du conseil consultatif de l'excellente revue internationale HBR Harvard Business Review. Membre des associations de recherche: - Institut International d’Audit Social (IAS) depuis 2004; Membre du Conseil Scientifique et du Bureau Elargi dès février 2009. - Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines (AGRH)  depuis 2004. Experte en management des ressources humaines conciliée depuis 1998 avec la sociologie, la psychologie et les avancées du marketing B2B et des technologies. Titulaire d’un DEA (Master Recherche) de gestion socio-économique des entreprises et organisations et diplômée d’une Ecole Supérieure de Commerce (Master 2). Activité d’enseignante-chercheure dans différents établissements d’enseignement supérieur français: ESC Saint Etienne, IAE de Lyon, CNAM Saint Etienne et IRUP Saint-Etienne, Faculté de Droit (Université Lyon 3), ESDES (Université Catholique de Lyon) et EM Lyon. Consultante RH (statut libéral / statut SAS) dans les entreprises privées (PME-PMI / grands groupes), les associations et les organisations publiques. Contribution à des projets scientifiques portant sur les questions de management de la santé et de la qualité de vie au travail.

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5 réponses

  1. Oeuvrant dans le domaine du bien-être, je ne peux qu’être d’accord avec vos propos. Cet article est bien construit et complet ! Beaucoup à retenir, merci !

  2. Bonjour, Article au combien réaliste et exacte. Les cadre de proximité en santé doivent acquérir plus de compétences et nous pourrions nous baser sur le concept d’organisation apprenante par le biais de groupe cadre. De plus, le risque d’un manager bienveillant et de dévier vers une forme individuelle plutôt que collective de ce type de management et d’initier des conflits parfois bien évitables. Merci pour cet article très intéressant.

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